Duplicité : Les contre-vérités de Matata Ponyo Augustin

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Duplicité :  Les contre-vérités de Matata Ponyo Augustin

« L’action est la meilleure de communication », disait Napoléon.

 

Dans une interview accordée à l’hebdomadaire « Jeune Afrique », en date du 22 novembre, Augustin Matata Ponyo, Premier ministre démissionnaire, règle quelques comptes avec le monde politique congolais tout en dressant un bilan «globalement positif » de ses quatre années passées à la Primature. Déconnecté des réalités, il prétend avoir « préservé la stabilité macro-économique » dans un pays où la production nationale et les exportations se limitent aux produits miniers extraits du sous-sol. Le pays importe tout. L’épargne est inexistante. La consommation, elle, est loin d’être solvable. Combien de PME et de PMI créées ? Combien d’emplois générés ? Pas un mot. Amateur des chiffres, Matata prétend également que le taux de pauvreté est passé de 80% à 63,4%. Sur le terrain, le chômage explose. Les Congolais continuent à vivre avec moins de 1,25 $ par jour. L’eau potable et l’électricité restent des denrées de luxe. La qualité des soins de santé et de l’éducation ne cesse de se détériorer. En quatre années de pouvoir, Matata qui s’est mis plein les poches n’a pas été capable de faire organiser le recensement de la population. Encore moins de mettre en circulation la nouvelle carte d’identité nationale. La non-tenue des élections en cette année 2016 restera le plus grand échec de cet oligarque qui se fait passer pour un technocrate. Que pourrait-on mettre à son actif ? Sans doute la modernisation de l’hôtel du Conseil. Sans omettre l’achat des bus pour la Transco et des avions pour la compagnie Congo Airways. Des marchés publics passés sans appel d’offres... 

La Constitution congolaise promulguée le 18 février 2006 confère au gouvernement des prérogatives lui permettant de conduire la politique de la Nation. S’il est vrai que celle-ci est définie « en concertation » avec le Président de la République, il n’en demeure pas moins vrai que la loi fondamentale n’attribue au chef de l’Etat aucun « domaine réservé ». Bien au contraire. La défense nationale, les « services » et la diplomatie sont des domaines de collaboration entre le Président de la République et le gouvernement.

Bien que détenant le pouvoir de nommer et de révoquer le chef du gouvernement, le premier magistrat du pays est politiquement irresponsable dans la mesure où le gouvernement seul est habilité à poser des actes d’administration et de gestion et de rendre compte devant l’Assemblée nationale. 

Les promesses

Nommé le 18 avril 2012 au poste de Premier ministre en remplacement d’Adolphe Muzito, Augustin Matata Ponyo a remis sa démission le 14 novembre 2016. Et ce conformément à l’article 17 de l’accord politique conclu le 18 octobre dernier sous la facilitation d’Edem Kodjo. «Il sera procédé, dans les 21 jours de la signature du présent accord, à la formation d’un nouveau gouvernement d’union nationale», peut-on lire dans l’article 17.

Lors de son investiture au début du mois de mai 2012, le nouveau « Premier » avait égrené un chapelet de priorités contenues dans sa « feuille de route ». Pour l’essentiel, on peut épingler: poursuivre les réformes institutionnelles en vue de renforcer l’efficacité de l’Etat ; consolider la stabilité du cadre macroéconomique et relancer la croissance et la création d’emploi ; poursuivre la construction et la modernisation des infrastructures de base ; améliorer les conditions de vie des populations ; renforcer la transparence et l’efficacité dans la gestion des ressources publiques ; maîtriser et crédibiliser le processus électoral ; poursuivre la stabilisation de la situation sécuritaire et rétablir la paix dans les zones affectées par l’insécurité à l’Est du pays ; assurer l’indépendance du pouvoir judiciaire, promouvoir les droits de l’homme ; consolider le processus d’amélioration du climat des affaires et rationaliser la gestion des entreprises publiques du secteur marchand ; garantir la transparence dans l’attribution des blocs pétroliers et des droits miniers par appels d’offres ; accroître la capacité de desserte d’eau par la Regideso ; réduire le délestage et améliore la qualité de service dans le réseau SNEL (électricité) ; améliorer la salubrité publique et la qualité de l’environnement ; améliorer l’accès pour tous à l’enseignement primaire, à la qualité et à l’offre des soins de santé. 

Quid des réalisations?

Dès son entrée en fonction, Matata a donné de lui l’image d’un technocrate austère qui se pointe très tôt le matin à son bureau. Il passe de longues heures les yeux rivés sur l’écran de son ordinateur. L’homme a fini par se révéler comme étant un technocrate obséquieux. Ses prédécesseurs Antoine Gizenga et Adolphe Muzito ne rataient pas l’occasion d’exprimer « la gratitude au chef de l’Etat ». Matata, lui, faisait tout « selon la vision ou l’impulsion du chef de l’Etat.»

Qu’est ce qui a changé au Congo-Kinshasa au cours de ces quatre dernières années ?

Au plan politique. La réponse tient en un mot : rien ! L’avènement de Matata a coïncidé avec la "rébellion" du M23. D’autre part, l’Etat a étalé et continue à étaler son impuissance face aux massacres qui ont lieu depuis le mois d’octobre 2014 dans le Territoire de Beni. Plus d’un millier des citoyens sont assassinés. Les tueries sont attribuées à des prétendus rebelles ougandais des ADF. 

Au cours ces quatre dernières années, «Joseph Kabila » a renforcé le caractère despotique et arbitraire de son pouvoir. Les 19, 20 et 21 janvier 2015 plusieurs manifestants contre la modification de la loi électorale ont été abattus à Kinshasa par des éléments de la garde présidentielle. D’autres ont été tués le 19 septembre 2016. 

Plusieurs citoyens sont emprisonnés pour avoir dit leur opposition à la volonté du Président sortant à briguer un troisième mandat. Le Premier ministre est resté muet lors de ces événements. Il n’en a fait aucune mention dans cette interview. Ni regret. Ni remord.

Le pouvoir judiciaire est devenu une sorte d’appendice de la Présidence de la République. Les magistrats sont inféodés à l’autorité politique. Les jugements suivis des condamnations expéditives à Lubumbashi et à Kinshasa ne se comptent plus. Les arrêts controversés de la Cour constitutionnelle n’améliorent pas l’image de la justice. Matata avait promis de renforcer l’indépendance de celle-ci.

Les droits et libertés sont brimés. Les espaces de liberté sont verrouillés. Les médias d’Etat sont inaccessibles aux autres courants d’opinion. Les médias proches de l’opposition sont fermés.

Au plan social. La pauvreté explose. Selon le PNUD, 87,7% de la population congolaise vit sous le seuil de pauvreté avec 1,25 $/jour. Ville de plus de 10 millions d’habitants, Kinshasa compte moins de 200.000 emplois salariés, selon les statistiques du ministère congolais du Travail. « (…) le taux de pauvreté est passé de 80% à 63,4 », clame Matata. « Le budget de l’éducation est passé de 1% des dépenses publiques en 1990 à 16% », ajoute-t-il en soulignant que le Congo a gagné dix places au classement 2015 de l’Indice de développement humain.

Quel est le résultat réel sur le terrain? Les Congolais continuent à broyer du noir. La desserte en eau potable n’est pas améliorée. La fourniture en électricité non plus. Le mot « délestage » fait désormais partie d’éléments de langage au quotidien.

Le Premier ministre Matata aime brandir la « bancarisation » de la paie des fonctionnaires comme étant une « réforme d’avenir ». Cette opération n’a guère augmenté le pouvoir d’achat des agents publics. Pour des analystes, ce sont les banques qui en tirent profit. Sans omettre ceux qui leur ont donné ce business juteux.

Au plan économique et financier. Lors des travaux des « Concertations nationales », les participants avaient recommandé le paiement de la dette intérieure. L’objectif visé était de « booster » les PME et PMI ayant fourni divers biens et services à l’Etat.

Dans son interview, Augustin Matata dit avoir « préservé la stabilité du cadre macro-économique » entre 2010 et 2015. Selon lui, la monnaie est restée stable et l’inflation a été ramenée à 1% en moyenne par an. « Le mérite ne revient nullement à Matata, fait remarquer un expert. La monnaie est relativement stable depuis plusieurs années. Cette situation découle notamment de la politique monétaire prudente de l’ancienne direction de la Banque centrale du Congo mais aussi des rentrées en devises provenant des aides étrangères et des dépenses de la Monusco. Sans oublier, les investissements et les envois d’argent par les Congolais de l’étranger ».

Des observateurs ont été surpris par le silence de l’ex-Premier sur des sujets tels que l’amélioration du vécu quotidien de la population, la gestion des finances, la création de l’emploi, la production industrielle et agricole.

Selon Matata, le taux de change – qui est passé de 900 à 1200 Franc congolais contre 1 $ - ne s’est dégradé qu’au cours de ces « dernières semaines ». En cause, la baisse des recettes fiscales suite à la chute des cours du cuivre et du pétrole. De l’avis général, de 2010 à 2014, les cours du cuivre étaient fort avantageux. C’est la mauvaise gestion qui a obéré le trésor public congolais.

Les griefs

Avant d’être nommé au poste du Premier ministre, Augustin Matata a été successivement chef de bureau à la Banque centrale du Congo, conseiller au ministère des Finances, directeur général du BCECO (Bureau central de coordination) et ministre des Finances. 

Les détracteurs de Matata allèguent que celui-ci se serait scandaleusement enrichi en approuvant des marchés irréguliers pour des dizaines de millions de USD au BCECO. A la Primature, le « Premier » a claironné la bonne gouvernance tout en foulant aux pieds un des critères en l’occurrence la transparence. 

Augustin Matata Ponyo quitte le poste de chef du gouvernement sans avoir pu justifier un montant d’un milliard de USD dépensé pour des projets non budgétisés - sans appel d’offres - au cours de l’exercice 2014. « On peut mettre à l’actif de Matata la modernisation de la Primature, confie un analyste. Le problème est que les travaux de réfection de ce complexe n’a pas été conformes à la procédure de passation des marchés publics. Il en est de même en ce qui concerne l’achat des bus pour la Transco et des avions pour la compagnie aérienne Congo Airways ». L’homme de conclure : « Il est difficile de naviguer dans des eaux infestées de crocodiles, comme l’affirme Matata, sans qu’on ne devienne soi-même un crocodile. Peut-il expliquer pourquoi le poste de directeur général à la BCECO reste vacant depuis son départ? N’a-t-il pas attribué à son épouse le marché relatif à la propreté de la ville de Kinshasa ?» 

Dans l’interview accordée à « Jeune Afrique », Augustin Matata Ponyo n’a dit que des demi-vérités. Le plus grand échec de l’ancien "Premier" est et reste la non tenue des élections en cette année 2016 avec pour corollaires l’organisation du recensement de la population et la délivrance de la nouvelle carte d’identité nationale.Baudouin Amba Wetshi 
© Congoindépendant 2003-2016

 

 





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