Dialogue politique » : Rien n’est joué

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 Dialogue politique » : Rien n’est joué

Edem Kodjo s’est présenté en « grand boubou ». Une sorte de béatitude régnait mardi 18 octobre sur les visages des « dialogueurs » réunis à l’ex-Cité de l’OUA à Kinshasa.

Les représentants de la majorité présidentielle, ceux de la frange de l’opposition conduite par Vital Kamerhe et de la société civile arboraient une mine satisfaite. « Mission accompli », semblaient-ils dire. C’est un secret de Polichinelle. L’accord politique ayant sanctionné la fin des travaux du «dialogue» débuté le 1er septembre dernier n’avait qu’un seul but : le maintien du président sortant « Joseph Kabila » à la tête de l’Etat, au-delà de l’expiration de son second et dernier mandat qui interviendra le 19 décembre prochain. La présence importune de «Jaynet» dans chaque groupe de travail en témoigne. N’en déplaise au facilitateur Edem Kodjo ainsi qu’au Commissaire Paix et sécurité de l’UA (Union Africaine), l’Algérien Smaïl Chergui, le règlement de « la problématique de l’organisation des élections apaisées, crédibles et transparentes » ne présentait qu’un intérêt dérisoire. Vingt-quatre heures après la signature dudit accord qui s’articule sur 25 articles, l’accueil au plan diplomatique paraît mitigé. Dans un communiqué publié mercredi 19 octobre, les Etats-Unis appellent à la tenue de l’élection présidentielle en 2017.

Kodjo règle ses comptes

«Conformément à la Constitution, le Président de la République en exercice reste en fonction jusqu’à l’installation effective du nouveau Président élu », peut-on lire dans l’article 17 de l’accord. Cette phrase est au centre de tous les enjeux. 

Dès sa désignation par la présidente de la commission de l’UA en qualité de facilitateur de la 
« crise congolaise » en février dernier, Edem Kodjo avait reçu mission de mettre sur pied un régime de transition. En bon Africain, il avait cru qu’un partage du pouvoir avec des membres de l’opposition suffirait à pérenniser le pouvoir finissant et honni de «Joseph Kabila». 

Ceci expliquant peut-être cela, l’ancien Premier ministre togolais est apparu, mardi 18 octobre, fort polémiste. Il dissimulait mal une rancoeur certaine à l’encontre des opposants qui l’avaient récusé. L’homme a profité de la tribune de la Cité de l’Union Africaine pour s’auto-réhabilité et régler quelques comptes. 

Kodjo a décoché quelques flèches en direction du « Rassemblement » en général et d’Etienne Tshisekedi wa Mulumba en particulier. Il reproche au président du Conseil des sages de ce groupement d’avoir, comme disait François Mitterrand, jeté son honneur aux chiens. «A travers ronce et épine, rodomontades et affirmations péremptoires, nous avons maintenu le cap », a-t-il tempêté. Sa récusation ? « Injuste et sans fondement ». Citant le Nigérian Wole Sonyika, il lance : "Le tigre n’a pas à clamer sa trigritude. Il attrape sa proie et la mange". 

Dans le registre positif, on retiendra que le commissaire Paix et sécurité de l’UA autant que le Facilitateur ont mis l’accent sur le caractère « ouvert » de cet accord. « L’accord est ouvert à toutes les bonnes volontés qui voudraient y adhérer », a dit, pour sa part, Kodjo. Quid du contenu?

Un air des « Concertations nationales »

Lorsqu’on parcourt les 25 articles de l’accord politique issu de ce dialogue, on est frappé par une évocation plus à tort qu’à raison des principes d’une part et d’autre part par certaines propositions qui rappellent des «recommandations» issues des concertations nationales. Des recommandations transmises en octobre 2013 à « Joseph Kabila » qui n’ont guère connu le moindre début d’exécution.

A titre d’illustration, dans le préambule, tout en présentant le consensus comme étant le "mode de prise de décision", on peut lire : « Déterminés à renforcer l’Etat de droit par le respect des valeurs de la démocratie, notamment la tolérance, la solidarité, le compromis, l’égalité, les libertés publiques individuelles et collectives, l’équité, les élections libres et pluralistes, la séparation des pouvoirs, les respect des institutions, le respect de l’Etat de droit, l’indépendance du pouvoir judiciaire, le respect des décisions de justice, la soumission aux lois et règlements, la redevabilité, la bonne gouvernance et l’alternance démocratique résultants des élections ». Ouf ! Peut-on franchement parler de l’Etat de droit, c’est-dire de l’Etat où les actes des autorités publiques doivent se conformer aux règles de droit en vigueur, tout en adoptant le consensus comme mode de prise de décision ? La redevabilité ou l’obligation de rendre compte et l’Etat de droit ne sont-ils pas des éléments de la bonne gouvernance?

Comme lors des travaux des concertations nationales, la formation d’un nouveau gouvernement tient lieu de recommandation-phare. Il s’agit en fait de proie destinée à appâter les participants issus de l’opposition et de la société civile. "Les Congolais aiment les postes et l’argent", dit-on dans le premier cercle du pouvoir kabiliste. Autres recommandations déjà formulées lors des Concertations nationales : encourager le gouvernement à payer la dette intérieure; encourager le gouvernement à prendre des mesures visant l’augmentation du traitement des fonctionnaires; veiller au caractère apolitique de l’administration publique, des forces de l’ordre, des services de renseignement et de la justice; neutraliser les groupes armés tant nationaux qu’étrangers qui sévissent en RDC; sanctionner les médias qui incitent à la haine; permettre à l’Office national d’identification de la population de constituer un fichier général permanent de la population etc.

Certaines recommandations formulées par le "dialogue politique" sonnent comme un échec retentissant des quinze années de présence de «Kabila» à la tête de l’Etat congolais. On peut citer notamment : garantir l’accès de tous les courants de pensées aux médias publics, rétablir l’état civil (les Congolais n’ont pas de carte d’identité), neutraliser les groupes armés, sécuriser les frontières, assurer la non-politisation des agents de l’administration publique, créer des emplois pour les jeunes etc. 

L’accord politique plombé

Au plan diplomatique, l’accord politique a du plomb dans l’aile. Les partisans du "raïs" semblent souvent oublier que « Joseph Kabila » est un pur produit de la « communauté internationale ». Cette même communauté internationale qu’il exècre aujourd’hui. Sans l’Onu, les Etats-Unis et l’Union européenne, le successeur de Mzee aura été bien incapable de mettre fin à la guerre, de réunifier le pays et d’organiser les élections en 2006. Sans l’adoubement de la communauté internationale, "Kabila" n’aurait jamais « battu » Jean-Pierre Bemba.

Dans un communiqué daté du mercredi 19 octobre 2016, l’ambassade américaine à Kinshasa note que « les États-Unis demeurent profondément préoccupés par le risque de violence et de troubles civils » au Congo-Kinshasa. Et ce à quelques deux mois de la fin du second et dernier mandat du président sortant « Joseph Kabila ». 

Tout en reconnaissant l’importance du travail réalisé par les «dialogueurs» de la Cité de l’UA, les Etats-Unis estiment que «les violences du 19 et du 20 septembre à Kinshasa ont souligné le besoin urgent d’un accord élargi et inclusif sur une date pour les élections présidentielles et sur les dirigeants de la RDC après la fin du second mandat du président Kabila le 19 décembre ». Aussi exhortent-ils le gouvernement congolais à promouvoir un « dialogue inclusif ».

Pour les Etats-Unis, il est « techniquement possible » et impérieux pour le Congo-Kinshasa d’organiser des élections crédibles en 2017. Ils exhortent « Joseph Kabila » à décrisper l’atmosphère politique en prenant l’engagement de ne pas briguer un troisième mandat. « Le dialogue inclusif est essentiel pour prévenir de nouveaux troubles, préserver les importants acquis obtenus au cours de nombreuses années, et assurer un avenir pacifique pour tous les Congolais », conclut le communiqué.

La veille de la signature de l’accord cher à l’Union Africaine, le chef de la diplomatie française, le PS Jean-Marc Ayrault, avait sorti l’artillerie lourde en déclarant que le report des élections au mois d’avril 2018 ne constituait « pas une réponse à la crise ». Pour lui, seul l’engagement de « Joseph Kabila » de ne pas se représenter pourrait montrer la voie de sortie de crise. De même, la date du vote doit être fixée.

Mardi 18 octobre, le ministre de la Communication Lambert Mende - qui a bénéficié des appuis multiformes des milieux européens à l’époque où il militait dans l’opposition -, a fustigé le communiqué publié, en date du 17 octobre, quasiment dans les mêmes termes, par l’Union européenne. A en croire Mende, l’Europe serait un « continent en pleine décadence ». 

Sur le plan de la politique intérieure, l’appel à la journée ville morte lancé par le président du Conseil des sages du Rassemblement, Etienne Tshisekedi wa Mulumba, a été un succès indéniable à Kinshasa. Les activités socio-économiques étaient paralysées. Mêmement, à Goma et à Beni au Nord Kivu. Les habitants de Beni disent avoir infligé à « Joseph Kabila » un « carton jaune ». 

Dans une déclaration sur TV5 (Journal Afrique), l’opposant Joseph Olenghankoy a annoncé une « grande manifestation » pour le 19 novembre prochain. Ambiance!

B.A.W
© Congoindépendant 2003-2016





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