Dialogue et accord politique: la cour constitutionnelle piégée
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Pour contourner la disposition constitutionnelle qui met un terme au deuxième et dernier mandat de son autorité morale au 19 décembre 2016, la MP a recouru à la Cour constitutionnelle et obtenu de celle-ci un « arrêt sur mesure ».
Pour plus d’assurance, la MP a récidivé en poussant la Céni à recourir elle aussi à la Haute cour pour obtenir le report de la convocation des élections. Celle-ci est piégée pour autant qu’elle devra prendre sur elle toute la responsabilité du dépassement des délais constitutionnels.
Cinq ans n’auront pas été suffisants pour la majorité au pouvoir d’organiser les élections générales. Même le scrutin le moins compliqué qu’est la présidentielle a été gommée de la feuille de route de la Céni. Celle-ci s’est illustrée dans la multiplication d’entraves et autres complications juridico-politiques pour justifier son incapacité à remplir sa mission constitutionnelle. Résultat : l’on tourne en rond en faisant du sur place, l’on prive au souverain primaire l’opportunité de renouveler les mandats de ses représentants à tous les niveaux.
Voyant venir l’obstacle que brandissait l’Opposition, à savoir le respect de la Constitution et la tenue d’élections dans les délais constitutionnels, la Majorité présidentielle (MP) a pris le devant en obtenant de la Cour constitutionnelle un arrêt confirmant le maintien au pouvoir de Joseph Kabila jusqu’à l’élection du nouveau président de la République.
C’était en mai 2016, à travers une saisine en interprétation de l’article 70 de la constitution. Pourtant cet article, et la cour constitutionnelle l’avait confirmé, n’appelle pas interprétation. « Le président de la République est élu au suffrage universel direct pour un mandat de cinq ans renouvelable une seule fois. A la fin de son mandat, le président de la République reste en fonction jusqu’à l’installation effective du nouveau président élu ».
Certes, cet «arrêt sur mesure » a été critiqué dans la mesure où il jetait les bases du glissement tant redouté du calendrier électoral. Entretemps, la situation a évolué au point de faire changer la donne sur le terrain. La convocation du dialogue national s’est imposée grâce aux pressions internes et internationales. Se sentant coïncidée dans le déroulement de ces négociations politiques qui ont péché par l’absence d’inclusivité à la cité de l’Union africaine, la MP a mis au feu les nombreux fers enfouis dans sa gibecière.
En gardant un pied dans le dialogue qu’elle a piloté à travers le Togolais Edem Kodjo, et un autre dans son plan machiavélique de conserver le pouvoir quel qu’en soit le prix, la MP ne s’est avouée pas vaincue. Alerte, elle a poussé la Centrale électorale à se réfugier à son tour derrière la Cour constitutionnelle.
Sans se faire prier, la Céni a introduit une requête pour obtenir de la Haute cour qu’il lui soit accordé de reporter la convocation du corps électoral et, par ricochet, le renvoi aux calendes grecques de l’organisation des élections. Dans ce contexte, il serait difficile d’échapper à une période de transition au cours de laquelle la MP va faire passer la nouvelle constitution au niveau du Parlement. Et le tour sera joué sans anicroches, en violation de la constitution et du pacte républicain de Sun-City. En effet, l’article 5 de la constitution du 18 février stipule : « la souveraineté nationale appartient au peuple. Tout pouvoir émane du peuple qui l’exerce directement par voie de référendum ou d’élections et indirectement par ses représentants. Aucune fraction du peuple ni aucun individu ne peut s’en attribuer l’exercice… ». La classe dirigeante, pendant toute une mandature, a violé cette disposition constitutionnelle pour ses intérêts égoïstes, usurpant le droit légitime du peuple congolais à voter.
Devant cette imposture, la centrale électorale a introduit une requête le 17 septembre 2016 auprès de la cour constitutionnelle pour empêcher la convocation du corps électoral le 19 septembre, soit 90 jours avant l’expiration du mandant du président en exercice.
L’embarras de la Cour constitutionnelle
La balle est donc dans le camp de la Haute cour qui doit se prononcer sur la constitutionnalité de cette requête. Aux dernières nouvelles, celle-ci a reporté à lundi 17 octobre son audience sur le contrôle de constitutionnalité de la requête de la Céni au motif que le quorum n’était pas atteint à l’audience d’hier vendredi 14 octobre. Sur les neuf hauts magistrats, seuls six étaient présents dans la salle. C’est la deuxième fois dans l’espace d’une semaine que la Haute cour ne parvient pas à siéger sur la requête de la Céni faute de quorum.
Ces reports successifs sont étroitement liés aux travaux du Dialogue de la Cité de l’Union africaine. En réalité, les hauts magistrats sont embarrassés pour sauver la MP dans son passepasse juridique. Les négociateurs de la famille politique du Chef de l’Etat souhaiteraient que la cour constitutionnelle se prononce sur la durée du report des élections afin que cela soit inscrit dans l’accord politique qui n’attend plus que d’être signé.
Voilà, le pays se trouvera au 20 décembre, sans un nouveau président élu. Et pourtant les articles 75 et 76 de la constitution sont éloquents. L’actuel président tombe dans le cas « d’empêchement définitif » et son intérim devrait être assuré par le président du Sénat avec pour mission principale d’organiser la présidentielle dans les soixante, nonante ou, au maximum, 120 jours, selon l’article 76 de la constitution.
Il se fait que l’accord politique qui se négocie en ce moment prévoit une transition de deux ans avec la tenue d’élections, au plutôt en mars 2018, selon les derniers réglages à la cité de l’UA, ou en décembre 2018, selon les prévisions présentées par la Céni le 1er octobre à la plénière du Dialogue national. Il se pose donc un problème de durée du report des élections.
Pendant ce temps, le Rassemblement rumine et attend de d’administrer un carton rouge au président de la République sortant le 19 décembre. Le ministre belge des Affaires étrangères s’est interrogé, à haute voix, « qui va diriger la RDC après le 19 décembre 2016 ? ». C’est dire que personne n’accorde de crédit à cet arrêt de la cour constitutionnelle.
La préoccupation de la MP est celle d’arracher une base légale sur la question de la durée du report des élections.
Les hésitations de hauts magistrats s’expliquent. Ils ne voudraient pas, une fois de plus, servir de tremplin à une famille politique qui ne jure qu’à violer indéfiniment la constitution.
Accord politique ou constitution ?
La question centrale est : comment la Cour constitutionnelle va fonder un report des élections d’une durée de plus d’un an ou deux ans en se référant à la Constitution dont elle tire son appellation ? Cette question appelle une deuxième. Quel texte va diriger le pays pendant la période de la transition ? Comment mettre en œuvre l’accord politique de la cité de l’UA sans énerver la constitution ? Ne faut-il pas un « régime spécial », comme propose le Rassemblement, ou un acte de la transition pour contourner la violation de la constitution, le temps de la transition ?
Il s’observe qu’il est difficile de mettre en œuvre l’accord politique de la cité de l’UA sans violer la constitution. C’est ici que la sagesse des uns et des autres devrait porter sur la nécessité d’élargir le cadre du dialogue aux autres acteurs majeurs, notamment ceux du Rassemblement. Cette démarche aura le mérite de trouver un accord plus large et surtout qui intègre les positions de tout le monde, gage de paix et de stabilité des institutions.
Ne nous leurrons pas, l’accord de la cité de l’UA ne va aucunement permettre un processus électoral apaisé ni la cohésion nationale tant recherchée, en ce moment où les états majors politiques sont sur le pied de guerre.
Le Potentiel