Cour Pénale-Fatou Bensouda : Femme de loi ou politicienne ?
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"le risque est grand que les auteurs présumés restent impunis dans ce pays où l’appareil judiciaire s’est mué en un appendice de la Présidence de la République."
Combien de morts faudrait-il au Congo-Kinshasa pour inciter la procureure près la Cour pénale internationale (CPI), la Gambienne Fatou Bensouda, à se départir de sa posture d’observatrice passive pour initier une enquête sur les tueries à Kinshasa mais aussi à Kananga et à Beni ? Des observateurs se sont étonnés d’entendre cette femme de loi - dont l’office a pour mission de poursuivre les auteurs des crimes de génocide, crimes de guerre et crime d’agression - faire usage d’un langage qu’affectionne les politiciens et les diplomates en lançant un « appel au calme » au personnel politique congolais. Et pourtant, des crimes odieux et massifs ont été commis par des forces dites de sécurité. Et que le risque est grand que les auteurs présumés restent impunis dans ce pays où l’appareil judiciaire s’est mué en un appendice de la Présidence de la République.
Cinq jours après l’écrasement de la manifestation pacifique du 19 septembre par des éléments de la garde prétorienne de «Joseph Kabila» et de la police nationale, nul ne sait à ce jour le nombre exact de personnes ayant perdu la vie. Il en est de même de blessés. La police parle de 37 tués ; le G7, 50 morts. L’UDPS fait état de 100 morts.
Le vendredi 23 septembre, la procureure près la CPI Fatou Bensouda est sortie de son silence. Elle a entendu dire que des « actes » pouvant constituer des « crimes de la compétence de la CPI » ont été commis à l’occasion de cette marche organisée par le « Rassemblement des forces politiques et sociales acquises au changement ».
"Appel au calme et à la retenue"
Dans un communiqué, elle déclare sans rire qu’elle «surveille avec une extrême vigilance la situation sur le terrain.» «J’appelle toutes les parties potentiellement impliquées et tous les acteurs congolais au calme et à la retenue, et à s’abstenir de tout acte de violence contre les personnes et les biens », souligne-t-elle. Et d’ajouter : « Mon bureau enquête en RDC depuis 2004. Je n’hésiterai pas à agir si des actes constitutifs de crimes relevant de la compétence de la Cour sont commis et à prendre toutes les mesures qui s’imposent pour poursuivre en justice les personnes responsables en conformité avec le principe de complémentaire ». Du bla-bla.
Le bureau de la procureure près la CPI dispose d’un « agent de liaison » dans la capitale congolaise. Celui-ci peut-il ne pas informer la procureure des atrocités commises à Kinshasa par les forces dites de sécurité lors de la manifestation du 19 septembre? Peut-il ne pas l’informer des tueries – il est question de 100 morts - survenues le jeudi 22 et le vendredi 23 septembre à Kananga, chef-lieu de la province du Kasaï central ? Que dire des massacres de plus d’un millier des paisibles citoyens de Beni, au Nord Kivu depuis le mois d’octobre 2014 à ce jour?
Promue procureure près la CPI en 2011 en remplacement du très sulfureux Luis Moreno-Ocampo, Fatou Bensouda a du mal à faire gommer quelques aspérités découlant de son passé d’ancien procureur et ministre de la Justice d’un des pires dictateurs du continent. Il s’agit du Gambien Yahya Jammeh.
Des « mauvaises langues » allèguent que « Fatou » est "à tu et à toi" avec plusieurs chefs d’Etat du continent. C’est le cas notamment du président sortant congolais « Joseph Kabila ». Il semble que l’ancien ministre de la Justice Luzolo Bambi Lessa aurait effectué plusieurs visites discrètes à La Haye pour le compte du "raïs".
Le discours politico-diplomatique adoptée par la procureure près la CPI passe mal. Il dissimule à peine un manque de «volonté judiciaire» pour ouvrir une information sur les errements d’un « régime ami ». Les autorités de Kinshasa ont toujours été saluées par la CPI pour leur « esprit de collaboration ».
Dans une interview accordée à l’hebdomadaire parisien « Jeune Afrique » en janvier 2015, l’ancien Bensouda a réagi vivement à l’opinion répandue selon laquelle « Jean-Pierre Bemba et Laurent Gabgbo sont aujourd’hui à La Haye, parce que les pouvoirs congolais et ivoiriens ont voulu s’en débarrasser… ». Réponse : « (…). Je ne suis pas d’accord avec ce que vous dites, et c’est avec la plus grande fermeté que je démens l’affirmation selon laquelle MM. Bemba et Gbagbo seraient devant les juges pour des raisons politiques ».
Crimes contre l’humanité
Pour ne parler que du cas Bemba, Fatou Bensouda et son prédécesseur Moreno-Ocampo n’ont jamais su expliquer à l’opinion tant congolaise qu’internationale pourquoi, le Congolais Jean-Pierre Bemba Gombo se retrouve seul à la barre pour des faits survenus dans un pays étranger, en l’occurrence la Centrafrique. L’acte d’accusation transmis par la Cour de cassation de la RCA à la CPI, en 2003, contenait pourtant plusieurs patronymes. Outre l’ancien président Ange-Félix Patassé présenté comme étant l’accusé principal, il y avait notamment : Martin Koumtamadji, alias Abdoulaye Miskine, le général Ferdinand Bombayake, chef d’état_major de l’armée centrafricaine, Victor Ndoubabe et Lionel Gane-Befio. Sans oublier le Français Paul Barril.
Bensouda et son prédécesseur n’ont jamais su non plus expliquer la raison de la longue "garde à vue" infligée à l’accusé Bemba - huit années à ce jour - alors que l’homme réside à Bruxelles où ses enfants sont scolarisés.
Les crimes qui se commettent actuellement à Kinshasa, à Kananga et à Beni relèvent de la compétence de la CPI. A Kinshasa et à Kananga, l’armée et la police continuent à canarder des civils. Milice ou pas milice, l’Etat doit garantir les conditions minimales de sécurité pour tous.
A Beni, des habitants ont été égorgés, mutilés et éventrés. Ces faits sont constitutifs de crimes contre l’humanité du fait de leur caractère inhumain, odieux et massif. La procureure Fatou Bensouda peut parfaitement ouvrir une enquête de sa propre initiative. Agir autrement constituerait un aveu de complaisance à l’égard des oligarques au pouvoir au Congo-Kinshasa.
C’est le lieu de saluer la position ferme affichée par les Nations Unies. Dans un communiqué publié le samedi 24 septembre à New York, le sous-secrétaire général de l’ONU pour les opérations de paix, El Ghassim Wane, a exhorté les autorités congolaises « à protéger, à respecter les droits de l’homme et les libertés fondamentales ». Il a prévenu « ceux qui n’agissent pas dans le strict respect de la loi et des droits de l’homme », qu’ils « devront faire face aux conséquences des actes qui sont les leurs ».
Baudouin Amba Wetshi
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