RDC : Jeux d’influence : l’heure du Corse Beveraggi (La Libre Afrique)
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La consœur "La Libre Afrique" peint les activités d'un homme qui, après le Belge George Forrest, l’Israélien Dan Gertler, joue ses cartes d'influence grâce au rapprochement avec Kabila facilité par John Numbi, Kalev Mutond, Kikaya Bin Karubi et Olenga
Par François Misser
Depuis l’avènement au pouvoir de la dynastie Kabila, la chronique congolaise des affaires et de la politique a été maintes fois défrayée par d’influents businessmen étrangers. Après le Belge George Forrest, l’Israélien Dan Gertler, c’est l’heure du Corse Pascal Beveraggi.
Pascal Beveraggi, la cinquantaine, est le fils du vice-président de la fédération du bâtiment de Haute Corse. Flamboyant, aimant fourrures et porsches, il se targue, selon ses interlocuteurs, d’être proche des Grimaldi. C’est au moins vrai géographiquement : il a enregistré en 2011 le siège d’une de ses sociétés,Luxury Diffusion, dans la principauté.
Pascal Beveraggi est indéniablement l’homme d’affaires qui monte au Congo. Aux dernières nouvelles, selon les syndicalistes de la Société des Mines d’Or de Kilomoto (Sokimo), il serait détenteur de titres miniers dans l’Ituri pour le compte de la junior Pianeta Mining, qui a fondé une joint-venture avec la SOKIMO.
Mais Pascal Beveraraggi est surtout connu depuis qu’il a assumé en 2015 la gestion de la Mining Company of Katanga (MCK) de l’ex-gouverneur du Katanga, Moïse Katumbi, fondée en 1997. Spécialisée dans la découverture et l’évacuation de minerais de cuivre et cobalt, elle employait alors 2000 personnes et possédait une flotte de centaines d’engins et de camions, réalisant un chiffre d’affaires annuel de 170 millions de dollars.
Katumbi, qui souhaitait se lancer dans la course à la présidentielle, a vendu MCK – dont la société Astalia Investment Ltd, gérée par son épouse Carine, détient 85 % des actions – à Necotrans Mining, société mauricienne, filiale de la compagnie française Necotrans Holding. Conformément au contrat, 20 millions de dollars sont payés comptant, le reste (120 millions de dollars) devait être réglé en trois ans. Necotrans Mining confie alors la gestion de MCK à Pascal Beveraggi, qui la renomme NB Mining.
Après quoi, on assiste à un rapprochement entre Pascal Beveraggi et l’entourage de l’ancien Président Joseph Kabila Le Corse va jusqu’à installer le portrait du général François Olenga dans le hall d’entrée du siège de NB Mining. Selon les partisans de Katumbi, d’autres kabilistes – l’ex-patron de l’Inspection générale de la police, le général John Numbi; l’ancien boss de l’Agence nationale de renseignements, Kalev Mutond et l’ancien conseiller diplomatique de Kabila, Kikaya Bin Karubi, qui présente Pascal Beveraggi à l’ancienPrésident – lui auraient conseillé de placer MCK en redressement judiciaire après l’avoir asphyxiée pour la contraindre à la liquidation. La trésorerie de l’entreprise aurait été siphonnée et transférée à Dubaï sur des comptes appartenant à des proches de Kabila. Selon ces sources, il fallait empêcher que Katumbi puisse, grâce aux 120 millions de dollars lui revenant, financer sa campagne électorale contre Kabila.
NB Mining et la société mère, Necotrans Mining, sont effectivement placées en redressement judiciaire en 2017. Astalia investment Ltd veut faire jouer son droit de préemption pour racheter ses parts dans NB Mining. C’est alors que, le 25 août 2017, le Tribunal de commerce de Paris ordonne la cession de Necotrans Mining à la société Octavia de Pascal Beveraggi, implantée également en Afrique du Sud, au Ghana, en Guinée, en Zambie, en Angola et au Moyen Orient.
Coup de théâtre : le 15 mai 2018, la Cour d’appel de Paris annule la cession de 85 % des actions de Necotrans Mining à Beveraggi et confirme le droit de préemption d’Astalia investment. C’est cependant une coquille vide qui revient dans le giron de Necotrans. Car les 2000 salariés de NB Mining ont rejoint une nouvelle entité, NB Mining Africa, créée par l’homme d’affaires corse. « Il fallait tirer un trait sur les structures du passé, dangereuses pour les 2000 employés« , justifie alors Pascal Beveraggi, qui affirme avoir monté une nouvelle société conforme au code minier congolais.
Dernier épisode de la saga : un arrêt de la Cour de cassation de Paris du 5 février 2020 confirme les arrêts de la Cour d’appel de Paris, annulant la cession de 85 % des actions de Necotrans Mining à Octavia. L’argument est que les parts dans Necotrans Mining, détenues par Necotrans Holding, étaient inaliénables aussi longtemps que le montant de la cession de MCK n’était intégralement payé.
Le responsable de la communication de Pascal Beveraggi et de NB Mining Africa, Papy Tamba, dans un communiqué du 23 juillet 2020 réfute ces accusations et dénonce la confusion entretenue par certains journaux congolais. Pascal Beveraggi, dit-il, n’a jamais été le patron de Necotrans Mining, qui a racheté MCK en novembre 2015. À l’époque, Necotrans avait pour unique actionnaire Sophie Talbot et pour dirigeants Grégory Querel, qui a négocié l’acquisition de MCK, et un certain Jean Philippe Gouyet. Partant, les arrêts de la Cour de Cassation de Paris brandis par le camp Katumbi ne concernent Pascal Beveraggi en« aucune manière » ou n’ont pas d’incidence sur NB Mining Africa, poursuit le communicant. Papy Tamba confronté aux allégations relatives aux liens tissés entre l’homme d’affaires corse et des pontes de la kabilie, estime« ridicule de penser que NB Mining Africa doit son existence à des soutiens politiques« . Contacté par la Libre Afrique.be pour préciser la nature des relations entre son patron et les proches de Kabila, M. Tamba n’a pas toutefois donné suite à notre requête. Une question relative à l’intérêt de Pascal Beveraggi pour l’or de l’Ituri est aussi demeurée sans réponse.
Quoi qu’il en soit, comme son rival Katumbi, Pascal Beveraggi tente d’asseoir son influence au Congo à travers le sport. Il sponsorise le FC St Eloi Lupopo, le club des mineurs, qui est un peu au TP Mazembe de Katumbi ce qu’est l’Espanyol face au Barça : un sparring partner qu’il aimerait transformer en challenger. Beveraggi a promis de faire construire un grand stade et de faire remporter à son club le championnat. Selon un politicien katangais, ces plans feraient partie de la stratégie d’implantation d’Octavia en RDC. Apparemment, Pascal Bevaraggi ne lésine pas sur les moyens. En avril dernier, le FC Lupopo a annoncé avoir recruté l’entraîneur franco-italien Diego Garzitto, ex-entraîneur d’Ajaccio et ancien coach du TP Mazembe.
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Cela dit, l’engagement de Pascal Beveraggi au Katanga se fait dans une atmosphère tendue. En 2019, l’avocat Jean-Claude Muyambo, proche de Moïse Katumbi, a imputé à de présumés supporters du FC Lupopo l’attaque de son domicile à Lubumbashi.
Mais ceux qui voudraient enfermer le Corse dans l’image d’un inconditionnel de la kabilie devraient peut-être réviser leur copie. Car l’homme semble s’adapter aux circonstances. Après la mascarade électorale qui a abouti à la proclamation de la victoire de Félix Tshisekedi, le Corse s’est fait inviter à la prestation de serment du nouveauPrésident.
Selon des indiscrétions, parvenues à la Libre Afrique.be, il aurait alors approché la ministre congolaise desAffaires étrangères, Marie Ntumba Nzeza, proche de Tshisekedi. L’homme d’affaires français qui avait, à ses côtés, l’ex-dirigeant de Necotrans Mining, Jean Philippe Gouyet, ancien vice-président Afrique d’Airbus Group et ancien de la Direction générale de la sécurité extérieure (DGSE), se serait présenté à la ministre comme un ami de Franck Paris, le conseiller Afrique d’Emmanuel Macron, un autre ancien de la DGSE et proche du ministrefrançais des Affaires étrangères, Jean–Yves Le Drian. Durant l’entretien, Beveraggi aurait offert d’appuyer à Paris les démarches de la ministre congolaise en contrepartie d’un soutien de la Présidence congolaise à ses initiatives au Congo. Loin d’être un banal homme d’affaires, Pascal Beveraggi voudrait s’afficher comme un relais de la « diplomatie parallèle » de l’hexagone. Selon un politologue parisien, il appartiendrait à une nouvelle génération d’acteurs : celle de la Françafrique « propre », autonome des anciens réseaux. Un homme d’influence à suivre.
La Libre Afrique