RDC : "Tshisekedi est l'homme indiqué pour donner une orientation claire à la population"
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Expert des questions politiques et sécuritaires de la RD Congo, Jean-Jacques Wondo Omanyundu décrypte la situation actuelle de ce pays. PROPOS RECUEILLIS PAR MURIEL DEVEY MALU-MALU
Le 19 septembre dernier, les Congolais ont organisé des marches dans de nombreuses villes de la RD Congo, à l'appel du Rassemblement, une association de partis politiques d'opposition et de forces civiles, regroupés autour d'Étienne Tshisekedi, le leader de l'Union pour la démocratie et le progrès social (UDPS). À travers cette journée de marches pacifiques, le Rassemblement voulait signifier symboliquement au président Joseph Kabila le début de son « préavis », à trois mois de la fin officielle de son second et dernier mandat.
Mais cette journée a dégénéré en affrontements entre les forces de sécurité et les manifestants, qui se sont prolongés le lendemain et les jours suivants, faisant une centaine de morts, selon l'UDPS, et 32, selon le pouvoir. Il s'est ensuivi une forte répression et de nombreuses arrestations. Quelle lecture peut-on faire de ces journées ? Quel rôle joue la population dans le processus démocratique en cours en RD Congo ? Quelles sont les forces et les faiblesses de l'opposition ? Décryptage avec Jean-Jacques Wondo Omanyundu.
Le Point Afrique : quels enseignements peut-on tirer des événements des 19 et 20 septembre derniers ? Peut-on parler d'avancée ou de recul pour l'un ou l'autre camp ?
Jean-Jacques Wondo : Il est difficile de parler de victoire ou de défaite, car nous ne sommes pas dans un combat classique, mais dans un processus de consolidation d'un processus démocratique, initié en 2002, qui a débouché sur la mise en place en 2003 du gouvernement de transition 1 + 4 (1 président et 4 vice-présidents). Cette phase a accouché en 2006 de la Constitution qui est aujourd'hui l'enjeu des manifestations populaires. Ces manifestations ont mis en évidence, une nouvelle fois, l'attachement de la population à la démocratie. La population comprend les enjeux démocratiques qu'il s'est appropriés. Elle a compris que ce n'est que par cette voie que l'on peut renforcer et consolider les institutions et obtenir des avancées en termes de performances au niveau de la gouvernance, et donc de l'amélioration de son bien-être. Cet acquis est non négligeable. Si l'on raisonne en termes de victoire ou de défaite, la victoire sera effective quand la population imposera l'alternance effective.
Qui sont les Congolais qui descendent dans la rue ? Sont-ils représentatifs de la population congolaise dans son ensemble ?
Les gens qui étaient dans la rue sont le reflet de toutes les couches sociales du Congo. Bien évidemment, il y a la jeunesse, qui représente plus de 60 % de la population. De ce fait, elle est donc la première force sociale démographique à s'être exprimée dans la rue. Mais au-delà des jeunes, il y avait aussi d'autres couches sociales et d'autres tranches d'âge, telles que les étudiants, les enseignants et les fonctionnaires. Au cours des deux dernières années, il y a eu beaucoup d'événements, dont les plus durs se sont déroulés dans les cités universitaires. Dans l'histoire du Congo, les milieux universitaires ont toujours été des foyers de prise de conscience. Les fonctionnaires étaient également très présents. Or, malgré les menaces de l'État, qui reste l'un des plus grands employeurs du pays, les fonctionnaires ne sont pas allés travailler. Toutes ces couches sociales sont descendues dans la rue pour faire bloc et dire que le Congo est leur patrimoine commun et qu'il est aujourd'hui le fruit d'un compromis qui est la Constitution votée après des années de guerre. Ainsi, si la Constitution est mise à mal, il y a risque de retour à la guerre civile et à l'instabilité politique que la RD Congo a connues depuis la fin de Mobutu. Le message envoyé par la population est : « Attention. Nous étions sur la bonne voie, il faut continuer sur cette voie. » La population, qui est consciente des dangers et des enjeux à venir, s'exprime pour empêcher que le pire n'arrive.
En poursuivant sa politique de « glissement » qui vise à retarder les élections, on a l'impression que le pouvoir n'a pas vraiment pris conscience de la force et de la détermination de la population. Est-ce le cas ?
Le pouvoir a très bien compris le message de la population. En janvier 2015, on qualifiait la population kinoise de paresseuse, d'ambianceuse et de distraite. Mais cette population, qui subit durement les délestages en fourniture d'eau et d'électricité, a pu tenir pendant trois jours pour empêcher le vote d'une loi qui conditionnait l'organisation des élections à un recensement qui allait prendre des années. Or, beaucoup de gens pensaient qu'elle ne résisterait pas au-delà d'une demi-journée.
Le pouvoir a capté le message et compris qu'il ne pouvait pas affronter directement la population. Il a donc préféré lancer un dialogue dans lequel il comptait attirer les politiciens comme dans une sorte d'appât. Une fois tombés d'accord sur le projet présidentiel, ces derniers pourraient entraîner les populations dans leur stratagème dont l'objectif final est d'offrir au président Kabila un nouveau mandat supplémentaire et anticonstitutionnel. Tel était son objectif. D'où la stratégie d'insister sur le dialogue, mais qui ne correspondait pas au format défini par l'accord-cadre signé à Addis-Abeba en 2013. Ce qui explique le surplace. La population, pour sa part, concède aux politiques d'aller au dialogue, mais ce qu'elle veut, c'est qu'on ne touche pas à la Constitution et que l'on respecte les délais constitutionnels. C'est un jeu du chat et de la souris.
Jusqu'où peut aller le pouvoir dans ce jeu du chat et de la souris ?
Aujourd'hui, le pouvoir est de plus en plus personnalisé. Dans la majorité présidentielle, il y a des gens qui ont compris les enjeux et le désir de changement exprimé par la population. Certains se sont donc détachés de cette majorité pour se regrouper dans le G7. Je ne pense pas que le président Kabila, qui personnifie aujourd'hui le pouvoir, puisse déclarer qu'il a compris le message de la population. Il joue au chat et à la souris pour contourner les choses. Son obsession est de rester au pouvoir. Il est prêt à aller jusqu'au bout pour son maintien à la tête de l'État, sauf si on l'en empêche. Dans ces conditions, d'ici le 20 décembre, je ne pense pas qu'il y aura de solution politique consensuelle pacifique.
La rue va donc continuer à maintenir la pression. Le lien entre l'opposition et cette rue est-il suffisamment fort pour faire plier le régime ?
Le lien entre l'opposition et la rue est là. Il est fort. Pour preuve, l'accueil réservé, en juillet dernier, par la population à Étienne Tshisekedi, l'emblème historique de l'opposition congolaise, à son retour au Congo, qui n'a eu d'équivalent sinon lors du décès de Papa Wemba et de Laurent Désiré Kabila. Ce sont des signaux qui montrent que la population est prête à créer une cohésion et une dynamique commune avec les acteurs politiques pour autant que tous se battent pour le même objectif.
Dans l'opposition, où est le socle qui permet d'espérer que les hommes politiques vont aller jusqu'au bout ?
Les acteurs politiques, en général, ne pensent qu'à leur intérêt personnel. C'est partout la même chose, mais c'est peut-être un peu plus fort chez nous qu'ailleurs. Tous veulent le départ de Kabila ou l'alternance, mais ils ne sont pas tous d'accord sur la manière d'y arriver. Chacun voudrait que cette « lutte » se fasse autour de sa personne. On se trouve donc en face d'ego dont certains sont difficiles à concilier dans un premier temps tandis que d'autres, qui semblent unis aujourd'hui, pourraient s'affronter à la longue.
Là encore, c'est la rue qui peut obliger l'opposition à aller dans le bon sens ?
C'est là que se situe la force de l'appropriation par la population congolaise de son processus démocratique. Il y a un jeu de « je te tiens, tu me tiens ». Malgré les tensions internes entre le groupe de Tshisekedi et le Rassemblement, d'un côté, avec celui autour de Vital Kamerhe, de l'autre côté, l'opposition sait que dans ses prises de position politiques, il y a un acteur qu'elle ne peut pas décevoir. C'est la population. Certains étaient prêts à signer des accords qui auraient contourné l'alternance et entériné le glissement, mais ils ont dû reculer. La population, qui les surveille, devient donc une faiseuse d'opinions très forte au point que l'opposition en est prisonnière. Sans être leader, la population impose son choix. Elle dit aux politiques : « Vous pouvez aller au dialogue, mais si vous touchez à l'alternance et à la Constitution, vous allez nous trouver en face de vous. » Cela pousse les politiciens à se mettre ensemble et à cheminer dans la même direction. C'est la population qui garde la main, sans peut-être toujours bien en avoir conscience.
Ce qui se passe en RD Congo est un moment fort de l'histoire démocratique du pays mais aussi de l'Afrique centrale, qui est très en retard sur le plan de l'alternance démocratique. Quelle est votre analyse ?
La RD Congo est en effet au cœur d'un processus démocratique qui touche toute l'Afrique centrale. Elle a de nombreux atouts aux plans géopolitique, démographique et économique pour jouer un rôle de premier plan dans la sous-région à tous les niveaux. Si l'on prend une métaphore religieuse, on pourrait la comparer à une maman qui est en train d'accoucher d'un « sauveur du monde ». Des douleurs de l'enfantement certains disent que c'est une grossesse à risque. D'autres pensent que la maman risquant de mourir, mieux vaut sacrifier le bébé, qui est la Constitution. Le Congo est au cœur de l'expression de Frantz Fanon « L'Afrique a la forme d'un revolver dont la gâchette se trouve au Congo ».
L'erreur serait de n'analyser la situation actuelle de la RD Congo qu'à travers les actes posés par ses élites politiques et de sous-estimer l'acteur que représente la population congolaise.
Tout à fait. Mais quand on parle de population congolaise, il faut intégrer la diaspora, qui est en rupture totale avec les élites politiques du pays. Ces dernières le savent. Toute décision ou posture politique prise par l'opposition doit ainsi tenir compte de ce que pense la diaspora et de ce qui peut la calmer. Pour exemple, le conclave de Genval était, au départ, un arrangement entre Katumbi, le G7 et l'UDPS. Il était même question que Moïse Katumbi et Tshisekedi signent une sorte de « level agreement ». Quand la diaspora et surtout les combattants l'ont appris, ils se sont invités au conclave. Ils ont imposé leur point de vue et certains points n'ont plus été abordés. La population congolaise, celle qui vit à l'intérieur comme celle qui vit à l'extérieur du pays, s'est approprié le jeu de la démocratie. Elle est donc un agent majeur du changement dont elle influence les modalités de réalisation. Tout porte à croire qu'elle ira jusqu'au bout.
Étienne Tshisekedi est-il une référence, voire une icône, pour les Congolais ?
Plus qu'une icône, Étienne Tshisekedi est une sorte de patrimoine national qui n'appartient plus seulement à sa seule famille politique. Les récents événements (son retour à Kinshasa le 26 juillet et la marche du 19 septembre), malgré l'hyper-médiatisation faite autour des autres acteurs politiques de l'opposition, confirment qu'il est de loin l'acteur politique le plus populaire du pays. C'est le seul homme politique capable de lancer un mot d'ordre qui sera suivi par une majorité des Congolais. De ce fait, il est l'homme indiqué pour donner une orientation claire à la population dans sa lutte vers l'effectivité de l'alternance le 20 décembre prochain, au seuil du dernier mandat constitutionnel du président Kabila. Le Congo attend cela depuis 1960 ! Tshisekedi doit en prendre conscience et assumer pleinement ses responsabilités. Ce sera une sorte de revanche politique avec l'histoire de la RD Congo qui ne lui a pas fait de cadeaux ces trente-cinq dernières années.
Le Point Afrique