RDC-Moise Katumbi, «j’ai un reve : rendre au congo son honneur perdu»
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On le regarde dans le monde comme le Self made man congolais. Son discours n’est pas violent. Il est jeune, il est beau, mais ce n’est pas une recette qui paye au pays de la violence gratuite contre le peuple.
Moise Katumbi puisque c’est de lui dont il est question dans cet entretien, est presque un homme à part dans l’univers politique complexe et controversé de son pays, la République démocratique du Congo. Dans ce pays où encore une fois, une manifestation contre le mutisme de l’équipe au pouvoir pour le respect du calendrier électoral a poussé des milliers de gens à la rue, suivie d’une tuerie des forces dites de l’ordre, il semble que l’exercice du pouvoir ressemble encore une fois à un jeu de la mort où le plus fort, le pouvoir sans doute, gagne toujours. Pauvre Congo. Même si le pays est aujourd’hui l’un des plus peuplés du continent, au rythme où vont les assassinats, les tuerie et les emprisonnements, on risque de voir rapidement la population se réduire considérablement avant le prochain génocide en préparation sans une intervention efficace de l’armée et de la police pour protéger d’abord le peuple. Dans cet entretien presque sentimental, Moïse Katumbi, en sa qualité de candidat à la présidentielle et leader du G7, revient sur toutes ces questions et donne un éclairage qui ne manque pas d’intérêt sur la situation du Congo d’aujourd’hui. |
Monsieur Katumbi, lundi 19 septembre de nombreux congolais sont descendus dans les rues pour protester contre le retard accumulé dans l’organisation de l’élection présidentielle en Rdc. Les manifestations ont été entachées par des affrontements extrêmement violents entre les manifestants et les forces de l’ordre congolaises à Kinshasa, avec un bilan de 17 morts, dont 3 policiers. Comment réagissez-vous à ces violences ?
La violence et la répression sont l’œuvre du régime ; et elles ont été disproportionnées. Je les condamne fermement car des dizaines de Congolais ont perdu la vie. Que leur âme repose en paix. Ce qui s’est passé à Kinshasa ne peut pas rester impuni. Personne ne peut fermer les yeux face à l’agression révoltante qu’a subie Martin Fayulu, un opposant qui a toujours défendu pacifiquement la Constitution.
Ces violences font suite à l’ouverture le 1er septembre dernier du «dialogue politique national» proposé par le Président sortant, Joseph Kabila et qui réunit la majorité présidentielle, une partie de l’opposition et la société civile. L’objectif est de relancer un processus électoral qui semble dans l’impasse. Quelles sont les raisons de votre refus d’adhérer à ce dialogue ?
On parle de dialogue politique, mais il s’agit d’un monologue de Kabila, qui aujourd’hui est bien seul. Cette initiative aurait eu un sens si tous les acteurs y avaient adhéré. C’est étonnant car l’inclusivité est prévue dans la résolution 2277 des Nations Unies, il s’agit d’un document que le facilitateur de l’Union Africaine, Edem Kodjo, a dit vouloir respecter à la lettre. Malheureusement la situation n’a pas évolué dans le bon sens. Pourtant, nous étions ouverts au dialogue, mais à certaines conditions. Pour certains d’entre nous, il était impossible d’entamer les discussions avec le régime de Kabila sans la libération des prisonniers politiques, la fin des persécutions judiciaires à l’encontre d’opposants et de représentants des mouvements citoyens, sans un engagement clair de Kabila à respecter la Constitution et donc de quitter le pouvoir au terme de son second et dernier mandat, à savoir le 19 décembre prochain, et sans un dialogue sur les massacres de Beni, dans l’est du pays. Aucune de nos requêtes n’a été accueillie.
Mais, entre fin aout et début septembre, on ne peut pas nier que Kabila a fait libérer certains leaders des mouvements citoyens de Lucha et de Filimbi. Ne voyez-vous pas çà comme un signe d’ouverture ?
Certes, le geste est appréciable, mais aujourd’hui nous pleurons nos morts. Il faut par ailleurs rappeler qu’il s’agit de libertés provisoires, car aucun des chefs d’accusation n’a été levé. C’est une façon pour le régime de pratiquer du chantage envers les jeunes contestataires congolais et les empêcher de réclamer leurs droits. Pire, le jour où Kabila a fait libérer huit personnes, il en a fait incarcérer 118 autres, tous des prisonniers politiques. Au lieu de mettre en prison des citoyens qui protestent pacifiquement contre la violation de la Constitution, Kabila devrait faire un procès et incarcérer les rebelles du M-23, un mouvement armé qui a tué des milliers de Congolais dans l’est du pays et qu’il a fait amnistier. Il n’a absolument rien fait pour favoriser l’ouverture de procès et je crains qu’il ne le fera jamais ! Il y a, par contre une chose que son régime pratique très bien : la répression des manifestants. 17 sont morts cette semaine, 400 autres jeunes Congolais l’ont été en janvier. Dans tout ça, il a oublié de mettre un terme aux massacres de Beni. Il devait demander la création d’un Tribunal pénal international semblable à celui qui a été créée à Arusha, en Tanzanie, après le génocide du Rwanda. Avez-vous la moindre idée de ce qui se passe là-bas ? Des hommes, des femmes et des enfants sont tués dans des conditions atroces. C’est un carnage qui se déroule sous les yeux de toute la Communauté internationale, mais personne n’agit. C’est très grave.
L’Eglise catholique a décidé de se retirer du dialogue. Qu’en pensez-vous ?
Après les violences du 19 septembre, c’était inévitable. Elle avait déjà menacé de se retirer car elle n’acceptait pas de participer à un monologue dont l’unique objectif est celui de violer la Constitution. Et c’est la raison pour laquelle nous demandons l’application de l’article 64 de cette Constitution.
Que dit cet article ?
Tout Congolais a le droit d’empêcher un individu ou un groupe d’individus de prendre le pouvoir par la force ou qui exerce le pouvoir en violation des dispositions prévues par la Constitution. En d’autres termes, les Congolais ont le droit de faire en sorte que Kabila quitte le pouvoir d’ici le 19 décembre.
Qu’attendez-vous aujourd’hui de Kabila ?
Kabila doit revenir à la raison et sortir par la grande porte, car il faut savoir partir à temps. Il y a une vie après la présidence. Il sera apprécié si et seulement s’il libère le Congo. Aujourd’hui, le Président a deux options : soit il rentre dans l’histoire en quittant le pouvoir dans les délais constitutionnels, soit il fera la fin de l’ancien président Burkinabé, Blaise Compaoré.
Que demandez-vous à la Communauté internationale, et en particulier à l’Union Africaine ?
L’Union Africaine doit nous aider car personne ne peut violer la Constitution. Nous apprécions ce qu’elle a fait jusqu’à aujourd’hui, mais elle doit très attentivement cette Constitution, qu’elle doit faire appliquer et adopter des sanctions contre ceux qui en violent les principes. Les sanctions sont un moyen efficace pour dissuader les hommes du régime congolais de violer les droits humains. Je demande à l’Union Européenne d’adopter des sanctions en suivant l’exemple des Etats-Unis.
Ce n’est pas sérieux !
En mai dernier vous avez été contraint de fuir le pays. Aujourd’hui vous vous dites prêt à y revenir. Vous ne craignez pas pour votre vie ?
Les menaces sont toujours présentes. En Rdc, j’ai été condamné à trois ans de prison sans pouvoir être défendu par mes avocats. Ils disent qu’ils m’arrêteront dès mon retour, mais je compte quand-même y retourner et j’y retournerai.
Quand ?
C’est encore trop tôt. Vous savez au Congo un opposant craint par le régime sait qu’il doit prendre en compte plusieurs risques, l’emprisonnement, l’empoisonnement et le risque de finir au cimetière.
Pourquoi y retourner donc ?
Pour les souffrances du peuple congolais. Je pourrais tranquillement rester en Europe avec ma famille, mais ce n’est pas mon souhait. J’ai un rêve : rendre au Congo son honneur perdu.
De Joshua Massarenti © Afronline/VITA (Italie), Sud Quotidien (Sénégal), L’Autre Quotidien (Bénin), Les Echos (Mali), Mutations (Cameroun), Le Confident (RCA), Le Nouveau Républicain (Niger) |